Page 45 - Des ailes pour le Brésil
P. 45
44
Elle nous imposait de coincer les petits os des poignets sur le rebord de
la table, et nous devions garder cette posture pendant tout le repas.
Ce n’étaient pas les coudées franches ! Par mégarde, si nous entravions
cette exigence, elle saisissait avec une dextérité la pointe de la lame de son
couteau qu’elle retournait et nous assénait avec le manche, un coup violent
sur le dos de nos mains, accompagné des remontrances habituelles. Pour
parler à table, il fallait lui demander l’autorisation. Quelle peau de vache !
Je place mon père franco-chilien, en dernier sur la liste de ma famille,
parce qu’il m’avait terrorisé une bonne partie de mon enfance.
Sa punition préférée était de m’infliger des coups de ceinture et me mettre
la tête dans l’eau pour que j’arrête de pleurer, « la raclée » !
Mon père ne m’a jamais rien octroyé de bon, il préférait mon frère.
Le seul bon souvenir que je garde de lui, c’est le jour où il m’a amené
écouter Madame Buterffly de Giacomo Puccini à l’opéra.
Quel délice et merveille ! Je pense que j’ai éprouvé des sentiments à son
égard, le jour où il était mourant, à l’hôpital où toutes les infirmières
l’adulaient. Il pratiquait un mode d’éducation aristocratique français à la
sauce brutale et machiste sud-américaine. À son corps défendant, au Chili,
son enfance n’avait pas été bercée par la tendresse, ni par l’affection, ces
deux mots pendant sa douloureuse jeunesse lui furent complètement
inconnus, sa mère étant décédée en couche, il fut élevé par une Indienne
« Mapuche ». En janvier 1929, a l’âge de dix huit ans, il arrive du Chili en
France, il ne parle pas le français.
Mon grand-père paternel Albert de Bure s’illustre
comme capitaine ingénieur de l’armée Française. La
Pologne lui rend hommage, le 18 août 2020 pour son
courage pendant la guerre polonaise bolchevik russe, il
sauve la ville de Plock en 1920, il est considéré comme
un héros national polonais. Il séjourne au Chili, épouse
six femmes et décède le 25 décembre 1928 à San José du Costa Rica.
Ma sœur Guillemette et mon frère Gérard rencontrerons il y a quelques
années un descendant d’Albert dans la capitale de San José qui avait fait
fortune dans ce pays. Le moins, que l’on puisse dire, c’est qu’il a eu une
vie bien remplie, sortie loin des sentiers battus.